Interview avec illinit: l'histoire d'un passionné de hip hop

> Find the English translation of the interview HERE.

Petite pause dans les Rookie Talk, il est temps de s'arrêter brièvement sur la carrière d'illinit, dont nous vous avions parlé à plusieurs reprises sur ce blog.

Présent sur la scène underground coréenne depuis une bonne dizaine d'années, le rappeur a débuté au sein du trio Vespid avant de rejoindre le crew Buddha Baby et le label Snipersound, tous deux dirigés par MC Sniper. Aujourd'hui, illinit poursuit sa carrière de façon indépendante et a même monté son propre label, "triple i".

À travers cette interview, illinit nous conte son histoire en toute honnêteté. L'occasion pour vous d'en apprendre davantage sur sa carrière, sa musique et sa vision du hip hop coréen.

(Interview réalisée en Septembre 2013)

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- CARRIÈRE -

Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques mots ? Pourquoi « illinit » ?

What’s up Under K-HipHop France, ici illinit a.k.a Triple I, je représente Séoul.

« illinit » est un terme auquel je me suis accoutumé quand je vivais aux Etats-Unis. Vous savez, quand quelqu’un est vraiment bon dans quelque chose, on dit que le mec « illin’it » (= gère/assure comme un ouf/malade). Et à l’époque, j’avais le sentiment d’avoir un réel talent pour le rap, donc je me suis appelé comme ça.

Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans la musique (le rap en particulier)?

J’ai toujours été un grand fan de la musique et de la culture hip hop. J’ai grandi entre les Etats-Unis et la Corée, et je me souviens que dans les années 80-90, LL Cool J passait à la radio. Par contre, trouver du hip hop quand je revenais en Corée, c’était plus compliqué en ce temps-là. J’ai quand même pu garder un œil et une oreille sur le Wu Tang, Cypress Hill, 2pac, ATCQ, Ice Cube, etc… J’ai alors grandi en les écoutant. J’avais l’impression d’être plus fort en écoutant du hip hop à l’époque. Pour moi, c’était comme si ces rappeurs étaient des supers héros. Plus tard, j’ai donc naturellement commencé à rapper et ça a transformé le frêle et timide petit collégien que j’étais. J’avais une nouvelle identité.

Comment as-tu rejoint le crew Buddha Baby?

Alors, mes potes et moi (nous formions une équipe) voulions vraiment faire partie du game quand on est rentré en Corée après avoir fini le lycée. Mais on n’avait aucun contact pour se faire connaître, alors on a fait une démo et on filait le CD partout où on allait. On a continué comme ça jusqu’en 2001, année où on a tenté de participer à un gros évènement, l’Adidas HipHop Festival. C’est là-bas qu’on est tombé sur des artistes comme DJ R2 et Mr. Room9, qui nous ont, plus tard, présenté MC Sniper. À partir de ce moment-là, nous avons tous commencé à bosser ensemble et on est devenu un crew.

À l’époque, tu faisais partie du trio Vespid. Que retiens-tu de cette expérience en groupe ?

C’est cool de bosser en groupe car on peut s’appuyer les uns sur les autres et se faire des retours mutuellement. Mais ce n’est pas toujours une chose facile, surtout quand il faut prendre des décisions importantes et que chacun a une opinion différente.

Être en solo, ça donne plus de liberté pour procéder comme on veut, même si parfois on se demande si on fait ça bien. Il n’y a personne pour vous guider.

Ces moments passés au sein de Vespid m’ont beaucoup appris. J’ai gagné en force, en sagesse, et ça m’a donné assez confiance en moi pour naviguer tout seul dans le milieu.

Tu étais là lors de la création de Snipersound en 2004. Qu’est-ce que ça te fait aujourd’hui de quitter ce label après presque 10 ans ?

C’est comme si je quittais la ville de mon enfance pour m’installer dans une autre et ouvrir ma propre boutique, tu vois ce que je veux dire ? Tout le temps passé avec eux (bon ou mauvais), je le chéris et le garde précieusement. Tout ce qu’on a vécu ensemble est une chose essentielle dans mon travail actuel.

Ton label "Triple I" est désormais affilié à Factory Boi Production, la compagnie de Fame-J. Pourquoi opter pour un partenariat au lieu de signer directement sous ce label?

Prévois-tu de recruter d’autres artistes sous Triple I ?

Je voulais tester quelque chose de complètement différent en étant totalement indépendant. Ça faisait un moment que ça me travaillait. FAME-J et moi, on se connait depuis un moment et on respecte le travail de l’autre depuis toujours. On a donc tous les deux pensé qu’un partenariat serait bénéfique pour tout le monde.

Il m’a beaucoup aidé. Ma période d’indépendance (quand j’ai sorti ma mixtape) ne se serait pas déroulée de cette manière sans son aide. Je n’ai pas prévu de signer de nouveaux artistes sous Triple I, mais qui sait ce que demain nous réserve ? Pour l’instant, je dois me concentrer sur mon travail, ça fait bien trop longtemps que je ronge mon os.

Si tu devais citer un évènement marquant dans ta carrière, ce serait lequel ?

-  Sans conteste aujourd’hui. Faire mon propre truc, par moi-même. C’est un sentiment vraiment cool.

- FOCUS SUR « EXHIBIT I: THE MIXTAPE » -

Dans quel état d’esprit étais-tu quand tu as écrit les chansons de cet album ?

J’ai commencé la production en Janvier dernier, autrement dit quelques mois après avoir quitté Snipersound. J’ai fait tout mon possible pour que ce projet soit financé. Je me sentais bien, genre vraiment confiant pour raconter à ma façon les dernières années que j’ai vécues. Je me sentais plus sûr de moi, plus confiant que jamais.

Quelle est la piste que tu préfères, et pourquoi ?

Cette question est difficile… Elles sont toutes comme mes bébés. Si je devais n’en choisir qu’une, ce serait 'Jogeumman Gamyun Dwe (Presque). Je l’ai écrite en quelques heures, les mots me venaient tous seuls. Ce son parle de mon passé, présent et futur.  Je crois que c’est l’un des seuls sons de ma carrière que j’ai faits avec un sentiment d’espoir aussi fort. Quand l’enregistrement a pris fin, j’avais l’impression que ce son allait m’emmener ailleurs. Quelque part de plus élevé, comme si j’étais presque arrivé.

Si tu devais inciter les gens à acheter cet album, que leur dirais-tu ?

Si tu kiffes le hip hop coréen et que tu apprécies les rimes de fou, les métaphores, les jeux de mots ET les sons qui parlent des vraies expériences de la vie, alors cet EP est fait pour toi. J’en suis persuadé. Cet EP vient tout droit du cœur, de façon pure, et il est poussé au max niveau technique.

Prévois-tu une quelconque promotion pour cet album ?

J’ai sorti un single le 17 Septembre et il est disponible sur iTunes pour tous ceux qui souhaitent l’écouter. Et Octobre va être un mois plutôt chargé car je bosse sur les sorties de Novembre et Décembre.

- PARLONS MUSIQUE -

On a eu l’occasion de voir une autre facette d’illinit grâce au projet commun 강남2인조 avec Leo Kekoa. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette collaboration ?

Leo Kekoa est un vétéran respecté de la scène hip hop et ça fait longtemps que je suis un de ses fans. Un jour, il a suggéré l’idée de nous associer pour un projet commun. Bien sur, j’étais hyper emballé. On s’est vu presque tous les jours pendant quelques mois et on a rassemblé assez de chansons pour monter un album complet. Malheureusement, nous avons eu quelques soucis de communication avec le label et nous n’avons pu sortir qu’une partie des sons. C’est vraiment dommage qu’on n’ait pas pu montrer aux gens tout ce qu’on avait préparé.

En Novembre 2012, tu as publié « Survival », un son totalement en anglais. Avant sa sortie, tu disais être plus à l’aise quand tu rappes en coréen. Au final, es-tu satisfait des retours que tu as reçus sur ce son ?  Penses-tu sortir d’autres chansons de ce genre ou était-ce quelque chose que tu voulais essayer une seule fois ?

Satisfait des retours? Je sais pas… Celle-là, je l’ai juste sortie comme ça. Il fallait vraiment que j’ai quelque chose à faire à ce moment là. Mon nouvel album était sans cesse repoussé alors j’ai proposé de sortir une free track. J’étais satisfait d’avoir fait un son 100% anglophone pour la première fois de ma vie. Comme je l’ai dit, je suis plus à l’aise quand je rappe en coréen mais j’aime les nouveaux défis, alors je pense que je vais continuer sur ma lancée.

Toi qui as vécu dans le pays qui a vu naître le hip-hop, quelle est selon toi la particularité du rap coréen par rapport au rap US ?

Okay, alors d’un point de vue technique, le rap est une question de rime, pas vrai? C’est évident pour tout le monde que si ça ne rime pas, ce n’est pas du rap.

Aux States, on est tous confrontés, même les plus vieux, à des rimes un jour ou l’autre. Je veux dire, on grandit en y étant exposés au travers de vieux poèmes, des chansons, des livres, de la télé, etc. Mais en Corée, ça ne se passe pas comme ça. La structure grammaticale d’une phrase coréenne est complètement différente. C’est très difficile pour un coréen de comprendre le contenu d’un texte de rap car pour construire une rime, tu dois structurer ta phrase dans un langage qui n’a rien à voir avec le « parlé » de tous les jours. Ce n’est pas quelque chose de naturel comme en anglais.

Mais les rappeurs coréens travaillent très dur depuis des années pour perfectionner cette nouvelle forme d’expression, en posant leurs rimes en coréen sur le beat, et les gens commencent petit à petit à l’accepter. Une fois que tu as compris ça, tu réalises à quel point les rimes de certains rappeurs coréens sont complexes et raffinées.

La scène hip hop est aussi très développée en France, connais-tu quelques artistes?

Oui j’ai entendu dire que le hip hop était très développé en France. Je n’ai rien entendu de récent mais je me souviens que j’écoutais MC Solaar lors que je vivais aux Etats-Unis. Il est connu, n’est ce pas ? Qui cartonne en ce moment ?

Quelles sont les artistes ou les chansons que tu écoutes le plus en ce moment ?

En principe, j’écoute les nouvelles sorties tous les jours, mais ce que j’écoute le plus en ce moment c’est le dernier Big Sean, « Magna Carta... Holy Grail » et Kendrick Lamar.


Parmi tous les sons que tu as sortis jusqu’à présent, y en-a-t-il un dont tu es particulièrement fier ?

Je vais dire “Pray”, sur ma mixtape. Plusieurs personnes de mon ancien label, y compris Sniper en personne, m’ont appelé après l’avoir écoutée pour me dire qu’ils l’aimaient bien. Je voulais comprimer toute l’énergie positive de cette chanson pour la distribuer à tout le monde. À moi, à eux, aux fans. À tout le monde. Ah oui, et j’ai moi-même réalisé le clip de cette chanson. Je ne suis qu’un rappeur alors je suis très fier de ça aussi.

Beaucoup de musiciens ont ce petit truc qui leur rappelle pourquoi ils ont choisi cette route. Et toi, tu carbures à quoi ? Qu’est-ce qui te permet de rester motivé?

La musique a fait de moi celui que je suis aujourd’hui. Et comme je l’ai dit dans “Survival”, je ne pourrais pas vivre sans. C’est excitant d’avoir des retours des fans qui te disent qu’ils ont été inspirés ou touchés par ta musique. Et ce sentiment d’être high quand t’es sur scène, que tu sors ton flow et que les gens vibrent avec toi, c’est un carburant vraiment efficace. Je pourrais sûrement respirer et me nourrir avec autre chose, mais je ne me sentirais jamais aussi vivant.

Pour finir, as-tu un message pour les lecteurs d’Under K-HipHop?

C’est fascinant de pouvoir atteindre des gens à l’autre bout de la planète. Et c’est officiellement ma première interview avec un média qui n’est pas coréen. C’est comme si je re-débutais ma carrière, et je vous suis vraiment reconnaissant pour tout le soutien que vous me témoignez tous. Ça me donne la force d’avancer dans mes projets. Je vais continuer à sortir de nouvelles créations alors j’espère que vous allez apprécier. Merci.

Merci à Maylis pour son aide.

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